Un terroir, une histoire

Une longue histoire, une aventure humaine
qui traverse les siècles et les contrées

Le territoire d'origine du GRUYERE est helvético-français.

On parle d’un savoir-faire millénaire mais les preuves archéologiques font défaut.

Selon les historiens, le berceau de ces fromages de grande taille est une région montagneuse de la Suisse centrale, au débouché des cols alpestres ouverts vers l’Italie. Partant de là, la technique de fabrication de ce « fromage de garde » (qui permet de consommer l’abondant lait d’été au cours des mois d’hiver), s’est répandue vers l’actuel pays de Fribourg où se trouve la commune de Gruyères, avant d’atteindre le Jura, puis les Alpes du Nord.

Cette diffusion géographique s’accélère au XVIIe siècle. Face aux difficultés économiques du Fribourgeois, les fromagers Suisses émigrent vers la Franche-Comté voisine qui, elle-même, se relève douloureusement de la guerre de Dix Ans (1635-1643) où périt la moitié des Franc-Comtois.

Dans le même temps, en Savoie, les riches propriétaires vont eux aussi chercher des fromagers Suisses pour développer leurs montagnes. C’est ainsi qu’un « grevire » apparaît vers 1650 dans le Beaufortin.

Un fromage qui soude les communautés villageoises

La fabrication de fromages de grande taille exige d’importantes quantités de lait (il faut 400 litres de lait pour produire une meule de 40 kilos). La fabrication du gruyère repose donc sur une mise en commun de ce lait par de plusieurs producteurs. Le principe de coopératives est adopté très tôt. Les membres sont mis à contribution pour tous les travaux qui concernent leur fromagerie. Petit à petit cette dernière devient le cœur de la vie rurale. Son activité alimente les débats politiques villageois. C’est souvent là que se joue le pouvoir municipal.

Cette communauté de destin a forgé une forte solidarité. Chacun accepte de rendre compte de la qualité de son apport. Le Gruyère, délicat à produire, nécessite une grande discipline de la part des producteurs (le lait doit être exempt de germes qui pourraient occasionner une fermentation). C’est ainsi que la rémunération du lait aux producteurs est fonction, aujourd’hui encore, de la qualité du fromage.

Cette interdépendance a favorisé les bonnes pratiques, inscrites dans le cahier des charges de la filière, de façon à préserver ce que l’expérience et la tradition ont enseigné aux hommes.

En quelques siècles, le Gruyère aura ainsi profondément marqué la vie économique et sociale des régions où s’étend sa production, des deux côtés de la frontière.

Apparition d’un acteur important : l’affineur

Le Gruyère se fabrique quotidiennement, mais il a besoin de plusieurs mois de maturation pour exprimer la plénitude des ses arômes. C’est ainsi qu’est apparu un nouvel acteur : l’affineur, ce professionnel chargé d’élever les fromages pour le compte des fromageries.

On lui confie les meules « en blanc ». Elles sont encore jeunes, pâles, et leur goût n’est pas développé. L’affineur va les stocker dans des conditions favorables, les retourner, les soigner régulièrement, et les sonder pour évaluer leur qualité et la durée nécessaire de leur séjour en cave.

Parce qu’il centralise la production d’un vaste territoire, l’affineur est naturellement devenu l’opérateur commercial. C’est lui qui prospecte les marchés et qui fait connaître le fromage au-delà de sa région de production.

C’est lui, surtout, qui renseigne les fromagers sur les goûts des consommateurs. C’est lui qui dit qu’il faut envoyer de préférence les gruyères « à goût fin, pas trop salés et surtout avec une ouverture bien développée et pas très régulière » à Paris, et les gruyères à grande ouverture dans le midi. Parce qu’à cette époque (au XIXe siècle jusqu’au début du XXe), chaque fromager fabrique le Gruyère à sa façon. Ce qui changera rapidement au cours des décennies suivantes.

La « spéciation »

Le temps passe… La zone où l’on fabrique de grands fromages « à pâte pressée cuite » continue de s’étendre au début du XXe siècle. On fabrique du Gruyère en Côte d’Or, dans le Châtillonnais, dans la Bresse, en Haute Marne… On fabrique aussi, depuis quelques décennies, de l’Emmental, un fromage originaire de Suisse, lui aussi, et qui se distingue du Gruyère par le volume de sa meule et la taille de ses trous.

Le premier conflit mondial enraye brutalement la consommation. Au sortir de la guerre, le marché est envahi par des gruyères dont la qualité est très inégale.

Dans certaines régions, les producteurs réagissent par des stratégies de différentiation. On appellera cette phase : la spéciation. La Franche-Comté se distinguera avec le gruyère de Comté (le mot Gruyère n’a disparu du nom du syndicat qu’au 1er janvier 2015 !).La Savoie fera de même avec le gruyère de Beaufort.

La situation générale est confuse aux yeux de l’administration publique. La France est riche de centaines de fromages, mais le consommateur n’a aucun moyen de connaître la composition ou l’origine des produits qu’il achète. Le législateur veut assainir le marché. L’INAO est créée en 1935. Dans le même temps, la France et la Suisse s’affrontent au sein des instances internationales pour la propriété des noms gruyère et emmental.

C’est en 1951 à Stresa, en Italie, que sera finalement signée la convention qui met fin aux débats franco-suisses : le mot Gruyère est déclaré propriété …franco-suisse !

Mais ce mot Gruyère a souffert. Délaissé par le Comté et le Beaufort, on ne sait plus trop ce qu’il désigne (de ce côté-ci de la frontière). Fort d’un cahier des charges exigeant, le Comté obtient son AOC en 1952. Le Beaufort l’obtiendra en 1968. Pendant quelques décennies, le terme gruyère sera utilisé comme terme générique désignant un vague ensemble de fromages à pâte pressée cuite, parfois produit hors de son terroir originel, sans exigences particulières.

La renaissance du Gruyère en France

Mais la filière se réveillera. Les années 90 seront les années du renouveau. Le secteur agroalimentaire bouge. Sous l’effet de la concurrence européenne, les régions, les terroirs, redécouvrent les vertus de la qualité et de l’authenticité. L’AOP (Appellation d’Origine Protégée) et l’IGP (Indication Géographique Protégée) sont créées en 1992. Au cours de la décennie suivante, le Beaufort et le Comté redessinent et réduisent leurs zones de production. En Savoie et en Haute-Saône, les producteurs de lait mis de coté par cette restriction territoriale s’allient et se mobilisent. De réunions ministérielles en commissions d’experts, un projet prend forme : redéfinir la zone de production du Gruyère en France, reformuler le cahier des charges, et obtenir une appellation. C’est au cours de cette élaboration d’un nouveau cahier des charges que la décision est prise, finalement, d’adopter un mode d’affinage en cave tempérée, favorisant l’apparition d’ « ouvertures » (ses petits trous, de la taille d’une petite cerise ou d’une noisette). L’AOC est attribuée au Gruyère de France en 2007.

À cette période, les produits AOC (labellisation nationale) opèrent en grand nombre leur passage à l’AOP (équivalent européen). C’est dans cette logique que la filière du Gruyère de France et la filière du Gruyère suisse (AOC depuis 2002) envisagent la création d’une AOP transfrontalière qui aurait réuni les deux fromages, chacun conservant ses caractères distinctifs. Le dialogue s’engage avec les instances concernées, mais la solution est finalement écartée pour des raisons institutionnelles, la Suisse n’étant pas membre de l’EU. Le Gruyère Suisse restera donc une AOC.

Le Gruyère de France, lui, obtiendra la labellisation IGP en 2013.

La filière Gruyère de France est aujourd’hui riche de 200 producteurs* de lait, 7 ateliers de transformation. Les 60 000 meules* de Gruyère (environ) produites chaque année sont affinées et mises en marché par Monts & Terroirs, les Fromageries Arnaud et la Fromagerie Chabert.

* Ces chiffres varient légèrement d’une année à l’autre